jeudi 8 novembre 2012

Ma visite au CHU

11h ce matin, téléphone. La directrice de l'IME. 
J'aime pas.
Ils le savent parce que lorsqu'ils appellent pour des rendez-vous, leur première phrase c'est : "Tout va bien, ne vous inquiétez pas !" ou  "Nouchette a de la fièvre mais ça va :"
Et là, elle a pas dit la phrase magique la directrice.
A la place, elle a dit : "Nouchette s'est blessée".

Cette phrase, j'ai toujours redouté de l'entendre. Quand je l'ai entendu ce matin, j'ai eu l'impression que l'air me manquait. 
Elle était très calme au téléphone, et du coup elle parlait très lentement. Sûrement un peut trop lentement pour moi qui ai tendance à être très nerveuse. 
Entre le moment où elle a dit que Nouchette s'était blessée et le moment où elle a continué à parler, j'ai eu le temps de tout imaginer. 
Et même le pire...
Surtout le pire peut-être... 
C'est bête mais je fonctionne comme ça. J'envisage le pire, toujours, comme ça, je n'ai pas de déconvenue.
Ce qui arrive est toujours mieux que ce que j'ai envisagé. Ce n'est pas être pessimiste, ou du moins je ne le crois pas. C'est juste que je n'aime pas être déçue. Avec ce mode de fonctionnement, je ne suis pas déçue.

Bref. Elle a dit ensuite qu'elle s'était coincée la main dans une porte. 
Et là, très vite tu penses que du coup, ce n'est pas si grave que ça.

Erreur. Parce qu'elle a continué en disant : "On a appelé le SAMU".

Je pense que si elle avait été là devant moi et pas au téléphone, je l'aurais attrapée par le col et je lui aurais demandé de cracher sa Valda d'un coup. Parce que petit morceau par petit morceau, ça passe moyen... et ça agace..
Mais visiblement la formation de directeur d'IME ne comporte pas de formation en psychologie...

Quand elle m'a parlé de SAMU, j'ai de nouveau envisagé le pire. Un peu moins grave que la 1ère fois quand même, mais bien grave quand même. Genre, le doigt est sectionné.
Ce que j'ai demandé assez rapidement d'ailleurs. 
Et là, sa réponse m'a bien réconfortée : "Non, mais on ne voit pas bien. Le doigt tient encore. Mais le SAMU arrive". 
Donc le doigt tient encore mais pas très bien. 
Ok.
Mais c'est pas grave parce que les sauveurs du SAMU arrivent...

On est parties très vite avec Blondie. Parce que je voulais arriver aux urgences avant Nouchette.
Sauf que tu rentres pas comme ça dans un CHU...
Le gardien n'a pas voulu me laisser entrer avec la voiture. 
Même quand je lui ai dit que ma fille handicapée arrivait avec le SAMU aux urgences.
Même quand je lui ai dit que pour repartir, ce serait quand même mieux que je ne sois pas garée trop loin.
Il m'a dit que pour repartir, je retournerai chercher ma voiture et que là, avec un papier des urgences, j'aurai le droit de rentrer en voiture dans l'hôpital pour récupérer ma fille.

Et pendant que je vais récupérer ma voiture ; j'en fais quoi de ma fille ???

Il peut pas savoir le monsieur qu'elle ne va pas m'attendre dans son fauteuil sagement. Qu'elle va hurler quand je vais partir parce qu'elle va avoir peur que je l'abandonne.
Il peut pas savoir le monsieur, que le macaron ça veut pas forcément dire que t'es en fauteuil.
Il peut pas savoir qu'on gère pas de la même manière une personne handicapée physique et une personne handicapée mentale.
D'ailleurs, je sais pas s'il y en a beaucoup des gens qui savent que quand t'es handicapé, c'est pas forcément que t'es en fauteuil.
Pour les gens, quand tu parles de handicap, ils voient deux films : "Intouchable" et "Le 8ème jour". Les autres formes de handicap sont pas assez belles pour qu'on en fasse un film sûrement...
Bref, je m'égare...
Quand je suis arrivée aux urgences, Nouchette était déjà là, mais Chéri était arrivé aussi donc il allait pouvoir gérer. 
Je vous ai dit que c'était aux urgences adultes ? Je crois pas... Nouchette a 17 ans. Donc maintenant, c'est un grande, elle ne peut plus aller aux urgences enfants... Et c'est bien dommage...

Elle ne pleurait plus, mais je voyais bien qu'elle avait mal et qu'elle avait peur.
Par chance, elle a été prise en charge rapidement. D'abord par un monsieur qui a voulu lui prendre sa tension.
Comment vous dire Monsieur... Ça va pas être facile, voire pas possible...
Il a pas insisté. Et là, tu te dis ok.
 Donc on te prend la tension quand t'arrives au urgences juste pour faire joli dans ton dossier ? Ou alors c'est vraiment important mais comme elle est handicapée, ben du coup, c'est un peu moins important ?
Ensuite, on sait pas trop, si le cas de Nouchette le branchait moyen ou si c'était la pause déjeuner, mais il est parti. Et c'est une interne ou un médecin, je ne sais pas, qui l'a prise en charge.
Bien sûr, Nouchette ne voulait pas montrer son doigt. Et Nouchette, on peut difficilement lui expliquer que c'est pour son bien qu'elle doit montrer son doigt à la dame. 
La dame a vu vite fait et a dit qu'il fallait faire une radio.
Jusque là, même avec mes études d'expert-comptable, j'aurais pu le faire. (Je sais, c'est méchant, mais je dois me défouler...)
C'est bien le CHU. C'est grand. Entre l'accueil des urgences et la radio des urgences, t'as le temps de te balader... Avec Nouchette qui suit derrière toi en hurlant. Ben oui. Elle a toujours mal et toujours peur.
Parce que pour la douleur aux urgences adultes, on ne donne que des comprimés à avaler. Genre gros truc que même toi quand tu l'avales, soit tu le coinces dans la gorge, soit tu le vomis... 
Y a pas autre chose. Ni effervescent, ni sachet.
Normal, c'est les urgences adultes...

Donc on arrive à la radio avec notre bon. La manip prend le bon et regarde Nouchette. Et là, j'ai vu un grand moment de solitude dans son regard. Par un regard méchant hein ! Juste un regard qui dit "Merde... Comment je vais gérer ça moi ???"
Je lui ai dit qu'il fallait qu'on soit plusieurs pour la tenir. Elle n'a pas entendu. On est tous rentrés pour faire la radio. 
Il n'y avait qu'un tablier de plomb. On a dû en réclamer un second. C'est moi qui ai dit à mon autre fille de se mettre derrière la vitre pour se protéger des rayons. 
Une deuxième manip est arrivée. J'ai pensé qu'elle venait nous aider à tenir Nouchette...
On sentait bien que l'une comme l'autre était perdue.
Nouchette hurlait, se débattait, se mordait, essayait de nous mordre... Pourtant elle maîtrise la radio parce qu'elle a une double scoliose et qu'elle a eu un corset pendant 2 ans et donc, des radio, elle en a passé quelques unes...
La seconde manip lui a dit "Enfin, ne bouge pas, ça ne fait pas mal !"
Je lui ai répondu qu'elle était handicapée MENTALE et qu'elle ne comprenait pas..
"On ne sait jamais" a-t-elle répliqué..
Ben voyons... Ca fait 17 ans qu'on essaie de la gérer, et toi, t'arrives avec tes gros sabots et hop ! Tu résous le problème en un rien de temps !
On a quand même réussi à faire la radio. On a attendu un peu pour les récupérer et on a refait le chemin inverse pour retourner à l'accueil des urgences. 
Avec toujours Nouchette qui suit en hurlant derrière...
Et là, c'était le moment du repas. Alors les internes et les externes quittaient les urgences pour aller déjeuner.
Tous. Ils se sont tous arrêtés. Ils se sont tous retournés. Ils ont tous observé Nouchette. 
Pas le truc où tu entends quelqu'un crier, tu regardes par réflexe et quand tu vois, tu passes à autre chose.
Non.
Le truc où tu entends, tu t'arrêtes, tu observes.
Maintenant, quand ce genre de situation arrive dans un centre commercial, je ne fais plus attention.
Mais là, dans un CHU, ça m'a choquée. J'attendais plus de retenue ou d'empathie de futurs médecins.
Une dame est sortie d'un bureau et est venue nous demander très gentiment si elle pouvait nous aider. Alors les internes et les externes ont fait demi-tour et sont repartis à leur déjeuner.
Ça nous a fait du bien la dame. On avait plus l'impression d'être avec une bête de foire.

Ensuite, le médecin des urgences a regardé la radio. Elle a dit que ce n'était pas cassé, mais qu'elle devait quand même manipuler le doigt pour voir si les ligaments étaient atteints.
Elle a proposé de faire respirer à Nouchette du protoxyde d'azote afin de diminuer la douleur, et de la calmer pour pouvoir l'examiner. Elle a demandé à une infirmière (ou une externe, je n'ai pas vu le badge) de venir.
L'infirmière est arrivée et a demandé à Nouchette : "Bonjour comment vous appelez-vous ?" ?
?????
"Elle s'appelle Nouchette et est handicapée mentale"...
Nous lui avons dit que nous allions la tenir afin qu'elle puisse lui appliquer le masque. Cette cruche n'osait pas approcher le masque du visage de Nouchette... 
Et le médecin a dû trouver que ça commençait à bien faire parce qu'elle a dit qu'elle allait pouvoir regarder le doigt comme ça...
Elle a regardé 2 secondes et demi pendant qu'on transpirait à tenir Nouchette et a dit que les ligaments n'avaient rien...

Et là... le pompon..."Il faut faire une syndactylie mais il vaut mieux que vous la fassiez à la maison".
Ah bon ? Et pourquoi ? Parce que ça te fait ch t'ennuie de faire un pansement à une handicapée ? Parce que t'as peur qu'elle te brise les tympans ? Parce que t'as peur de te prendre des coups de pieds dans le tibia ?

Donc j'ai dit non... J'ai dit que ça n'allait pas être possible de le faire à la maison, parce qu'il fallait que je la tienne et que Chéri lui fasse le pansement.  Et que donc, il fallait lui faire  ici et maintenant.

Elle est allée chercher le matériel et un petit pansement car il y avait une petite plaie. Elle a dit à l'infirmière qu'elle devait poser le pansement.
Réponse de l'infirmière : "Si j'y arrive..." ???? 
Comment ça ? Donc, parfois, on ne soigne pas, ou on ne panse pas parce que le patient ne se laisse pas faire ? Donc on le laisse comme ça ?
On était trois à la tenir. Chéri, Blondie et moi. Elles lui ont posé son strapping. 
Même un enfant de 5 ans aurait fait mieux.

 On a quand même un léger doute pour les ligaments, vu la manière dont le médecin des urgences a examiné... Je sais, c'est mal de mettre en doute la parole d'un médecin. Mais, là, c'était vraiment moyen. Chéri dit qu'il va essayer de contacter un orthopédiste pour la faire réexaminer. 


Nous sommes maintenant rentrés chez nous. Nouchette est couchée : elle a besoin de se reposer après toutes ces émotions.

Moi j'avais besoin de me défouler.
J'ai été très choquée aujourd'hui par la prise en charge du handicap mental au CHU. On ne peut d'ailleurs pas parler de prise en charge. Elle est inexistante.
Je ne blâme pas les différentes personnes qu'on a pu voir. Elles n'y sont pour rien. 
Elles n'ont pas reçu de formation pour ça. 
C'est dommage. Il y a environ 700 000 personnes déficientes mentalement en France.Ce n'est pas rien.
Serait-ce si compliqué d'intégrer dans les formations médicales un stage en IME ou tout autre endroit où le futur soignant serait mis en contact avec des personnes handicapées mentales et apprendraient ainsi à les accueillir ?
J'ai eu la sensation aujourd'hui que ma fille n'avait pas reçu toute l'attention, ni tous les soins qu'elle aurait dû recevoir. Effectivement, c'est difficile et c'est plus long de s'occuper d'elle que d'un adulte qui a toute sa tête. 
Mais ce n'est pas une sous-personne. Elle est "juste" handicapée mentale. Elle a le droit aussi de recevoir des soins. Au même titre que n'importe qui.

J'ai décidé de faire un courrier au directeur du CHU (je sais, je suis très lettre en ce moment...). 
J'aimerais que les choses évoluent et je me dis qu'avec un courrier, ça va forcément bouger...


Ou pas...






8 commentaires:

  1. Il faudrait que tu repenses à tout ça à froid, dans quelques jours. Là, c'est vif, ça fait mal (pour toutes les deux). J'ai l'impression (mais peut-être que je me trompe) que les intervenants du CHU ont quand même essayé de s'adapter à la particularité de Nouchette. Mais sans formation, c'est dur. (d'ailleurs, ça vaudrait le coup de se renseigner là-dessus, ont-ils ou pas une formation pour la prise en charge des personnes handicapées?) Chez nous, tu peux rentrer en voiture dans le CH, ça simplifie les choses. Pour le reste, j'ai testé avec Amélie à l'époque où elle parlait pas, on trouve de tout. Du bon comme du moins bon. Mais ce dont je suis sûre, c'est qu'il n'y a pas une volonté délibérée de mal faire, au contraire. Bon courage à vous deux, et bon rétablissement à Nouchette.

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  2. A l'époque où mon mari a fait ses études, il n'y avait pas de formation. Et j'ai une petite cousine qui vient de passer interne, et ça a été pareil pour elle. Ça dépend peut-être des régions.
    Je suis sûre qu'ils ne veulent pas faire mal. Ils ne savent pas c'est tout. Mais c'est ça que je trouve dommage.
    Elle va mieux là, mais elle est très dure à la douleur alors j'ai peur qu'elle ait plus mal que ce qu'elle laisse paraître.
    Elle a arraché le pansement pendant la sieste en plus... Il est pas très beau son doigt :(
    Merci pour ton comm :)

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  3. Alors en effet, ça vaut le coup d'écrire une lettre, mais aussi de diffuser ce billet le plus largement possible.

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  4. Billet retweeté, et re-retweeté :-)

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  5. Merci :)
    En fait, je me dis que la lettre, ce n'est pas à l'hôpital qu'il faut l'adresser. Ce n'est pas le directeur qui est responsable de la formation. Mais surtout, ce que j'aimerai savoir, c'est si c'est partout pareil ou si, dans certains hôpitaux, le personnel a été sensibilisé.

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  6. Bonjour
    En pratique :
    - les soignants ne sont effectivement pas suffisamment formés vis-à-vis du handicap mental, moi la première
    - c'est malheureux mais le seul et unique effet d'un lettre au directeur, c'est une remontée de bretelles de l'interne ou du médecin qui s'est occupé de votre fille, le reste, le directeur en a cure...
    - la tension fait partie des paramètres vitaux systématiquement mesurés à l'admission, histoire de ne pas louper une détresse vitale. Et du coup c'est administrativement obligatoire. Cependant un professionnel qui a de l'expérience sait très bien estimer de visu la normalité de chiffres tensionnels. On ne peut pas être rose et debout en ayant 6 de tension.
    - le parcours de soin d'un patient aux urgences est effectivement une catastrophe, y compris pour ceux qui n'ont aucun handicap. Croyez bien que ce n'est pas un bonheur de travailler avec tous les jours, ni de savoir que le changer est un travail de titan.
    - la manip qui s'est adressé à votre fille, malgré son handicap, a selon moi raison. Votre fille n'est pas une plante verte, ni un animal. On doit parler aux patients des soins qu'on leur prodigue, qu'ils soient vieux et Alzheimer, nourrissons, handicapés moteurs ou mentaux, ... Cela reste des humains, dont "on ne sait jamais" ce qu'ils comprennent, des mots ou de l'intonation ou de l'intentionnalité de communiquer avec eux.
    - les types qui détiennent le merveilleux pouvoir d'ouvrir la barrière refusent l'entrée des internes qui travaillent 24h d'affilée aux urgences et qui ne peuvent laisser leur voiture sur le parking lointain et régulièrement vandalisé la nuit ... Sauf ceux qui ont, dans ce cas, de la jugeote et dans le votre, de l'empathie.
    - quand à vous proposer de faire les soins seule chez vous, c'est effectivement n'importe quoi, à mon sens. Votre fille n'est à priori pas plus compliquée à gérer que le patient Alzheimer sévère qui se fracture le col du fémur. Se débat et gueule, parce qu'à peur et a mal. Ce qu'on ferait tous à sa place.
    - Oui la réalisation d'examens radiologiques relève de la compétence médicale, parce que déjà qu'on irradie honteusement trop nos patients, ...
    Enfin tout ça c'est en vrac, en réponse à des points précis.

    A part ça, je tiens juste à vous dire que je le trouve très chouette, votre billet. Bon courage à vous 4.

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    1. Merci pour votre comm et pour les informations apportées. Je n'avais jusqu'à présent jamais été confrontée aux urgences adultes (sauf pour moi et il y a bien longtemps :))
      En revanche, nous sommes allés pas mal de fois aux urgences enfants avec Nouchette et à chaque fois, tout s'est très bien passé.
      Je pense que c'est pour ça que j'ai été pas mal secouée. De plus, mes émotions sont exacerbées quand il s'agit des miens (Mais vous aussi je crois... http://docadrenaline.wordpress.com/2012/11/09/la-barriere-2)et encore plus lorsqu'il s'agit de Nouchette, parce que je sais qu'elle ne peut pas exprimer sa douleur ni son ressenti...
      A une semaine, le doigt est bien dégonflé et elle a l'air de s'en servir à peu près normalement, donc tout va bien pour nous !
      Encore merci.

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  7. Oui bien sûr quand il s'agit des siens, d'autant plus nos enfants, notre vécu est particulier ! Je vous comprends.
    Ravie de savoir qu'elle va mieux, ce qui est l'essentiel !

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